
Jill Bill à la barre du bateau des croqueurs de mots pour cette quinzaine nous propose thème libre pour ce jeudi .
J’ai choisi « La paresse » d’Henri Michaux

L’âme adore nager.
Pour nager on s’étend sur le ventre. L’âme se déboîte et s’en va. Elle s’en va en nageant.
(Si votre âme s’en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les
coudes, pour chaque position corporelle différente l’âme partira avec une démarche et
une forme différentes c’est ce que j’établirai plus tard.)
On parle souvent de voler. Ce n’est pas ça. C’est nager qu’elle fait. Et elle nage comme
les serpents et les anguilles, jamais autrement.
Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement
des paresseux. Quand l’âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une
telle libération de je ne sais quoi, c’est un abandon, une jouissance, un relâchement si
intime.
L’âme s’en va nager dans la cage de l’escalier ou dans la rue suivant la timidité ou
l’audace de l’homme, car toujours elle garde un fil d’elle à lui, et si ce fil se rompait (il
est parfois très ténu, mais c’est une force effroyable qu’il faudrait pour rompre le fil), ce
serait terrible pour eux (pour elle et pour lui).
Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l’homme à
l’âme s’écoulent des volumes et des volumes d’une sorte de matière spirituelle, comme
de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz – jouissance sans fin.
C’est pourquoi le paresseux est indécrottable. Il ne changera jamais. C’est pourquoi aussi
la paresse est la mère de tous les vices. Car qu’est-ce qui est plus égoïste que la paresse ?
Elle a des fondements que l’orgueil n’a pas.
Mais les gens s’acharnent sur les paresseux.
Tandis qu’ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l’eau fraîche sur la tête, ils
doivent vivement ramener leur âme. Ils vous regardent alors avec ce regard de haine,
que l’on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants.

J’y ajouterai aussi « le paresseux » de St Amand ( 1594-1661)
Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.
Là, sans me soucier des guerres d’Italie,
Du comte Palatin, ni de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
Où mon âme en langueur est comme ensevelie.
Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je vois déjà s’en enfler ma bedaine,
Et hais tant le travail, que, les yeux entrouverts,
Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine
Ai-je pu me résoudre à t’écrire ces vers.